Deux cadrans solaires considérés comme deux « monstres solaires ».
Cadrans solaires situés dans la vallé du Viaur dans l’Aveyron (12).
La place du village dans les années 1970
Dimension 150 cm x 150 cm
L’histoire retiendra l’existence de deux « monstres solaires », deux cadrans solaires se faisant face de ce côté-là de la vallée du Viaur. Tous les deux aujourd’hui ont disparu récemment après avoir traversé trois siècles, dont deux aux services des hommes. L’un se trouvait sur le presbytère de Canezac, l’autre sur une maison de la place de Bar. Un peu plus sur le levant, le village de la Besse en possède un sur un ancien corps de ferme du début du XIXèm siècle qui est toujours visible bien que ses jours soient comptés car aucune volonté n’existe pour le préserver (ce cadran solaire offre des similitudes de facture avec celui de Bar, au point de les dire jumeaux). Ces vestiges négligés sont les ultimes instruments de mesure astronomique fruit du génie des hommes qui restent sur le grand territoire du Ségala aveyronnais et tarnais ; ils ont permis, non seulement, de donner un temps à la vie de tous les jours, mais aussi la venue du progrès en ces lieux reculés. Aucun réglage d’horloge mécanique ne pouvait, il y a quelques décennies en arrière, se passer de la présence d’un cadran solaire (Les horloges horaires seules n’ont jamais existé avant l’avènement de l’électricité). C’est dire la place des cadrans solaires dans la société et leur valeur patrimoniale.
Instrument de mesure, mais aussi instrument de réflexion, rares sont les cadrans solaires sans devise. Elles allaient de pair avec eux : habitude que l’horlogerie mécanique conservera à ses débuts. Il n’est personne à qui la vue d’un cadran solaire n’ait inspiré de graves réflexions. Devant notre vie si courte n’oublions pas le prix du temps.
Vestiges du cadran solaire de Bar (archives Société Astronomique de France – photo 1992).
Dans ce coin de la vallée du Viaur et de celle du Cérou, les vieux indicateurs de temps sont tous accompagnés d’une devise latine. Leur thème se veut religieux, philosophique, moral. Pour la période du XVIII siècle, on trouve de grande similitude pour ne pas dire copie d’une devise à l’autre. La mainmise de la religion entretenue par les curés de village se trouve souvent à l’origine des devises solaires. Le début de la devise du cadran solaire de Bar « Tempus Fugit » se découvre avec peine sur les vestiges de la table mais cela est suffisant pour donner crédit à la mémoire des anciens du village qui signalent ces deux mots. A eux seuls, ces deux mots figurent souvent une devise qui marque la fuite du temps. Sur le cadran de Bar, le début de la phrase latine démarre en bas à droite et occupe la moitié de la largeur de la table. Des ombres à peine perceptible suggèrent la présence de deux mots supplémentaires. Reste aujourd’hui à découvrir lesquels. Si l’on s’appuie sur l’appareil local existant (l’ensemble des cadrans solaires), et les connaissances gnomoniques, les mots Sicut Umbra peuvent avoir été utilisés pour clore cette devise.
Tempus Fugit Sicut Umra (Le temps fuit comme l’ombre)
Origine à rapprocher: Livre de Job, VIII, 9 :« Hesterni quippe sumus, et ignoramus,Quoniam sicut umbra dies nostri super terram »(Car nous sommes d’hier, et nous ignorons combien nos jours sur terre sont comme l’ombre.
Essais de restitution du cadran solaire de Bar
Facture
Dans la pure tradition gnomonique(1) de notre région, ce cadran solaire est réalisé sur un corps d’enduit de chaux selon la technique ancestrale du travail de la fresque. Un premier enduit de chaux et de sable grossier assure la forme et le dressage de la table(2) sur laquelle le cadranier(3) a reporté son tracé mathématique par gravure avant durcissement de la matière appliquée. En terme technique on appelle cette forme « l’arricio ». Un deuxième enduit de chaux grasse et de sable très fin, voire de poudre de pierre, appliqué en film mince donne à la surface de la table un aspect lisse et fini. Par transparence les marques du tracé laissées dans « l’arricio » restent lisibles. Le cadranier les souligne, avant durcissement du liant, d’un trait de couleur. Il ne lui reste plus qu’à délimiter à la règle le dessin des liserés qui ne demandent pas de précision.
Sur la table du cadran solaire de Bar, la palette des couleurs est restreinte. Ici le noir de fumée domine. Il recouvre les lignes horaires, la devise, (le millésime) et les liserés. L’ocre jaune très rabattu sert de couche de fond à l’ensemble. Le bandeau enfermant les chiffres romains présente une légère coloration foncé, qui n’est peut-être que le noir qui a fusé.
Le style (4) polaire en fer forgé, très bien visible sur la photo d’archive, est puissant. Son extrémité possède un renflement pour donner une touche esthétique à l’œuvre.
Le cadran solaire de la Besse fin du XVIII siècle offre des similitudes avec celui de Bar au point de penser qu’ils sont du même cadranier.
Un cadran solaire loin d’être ordinaire
Avec ses 1.5 mètre de côté et son tracé mathématique qui occupe la quasi intégralité de la surface de la table, ce cadran solaire a été conçu pour donner l’heure de loin. A l’entrée sud de la place de Bar, il était facile d’attraper l’heure sans faire un pas de plus en direction du cadran. Il est fréquent de trouver de telle dimension sur des instruments réalisés pour des édifices religieux, appartenant à la noblesse, voire de grand corps de ferme où il est nécessaire pour le personnel de pouvoir lire l’heure depuis les champs environnants. Concernant le cas des habitations particulières des villes et bourgs cela est plus rare. Bien souvent, leur première fonction sera d’étaler la réussite sociale de son propriétaire, mettre en avant ses richesses financières mais aussi intellectuelles dans l’approche mathématique de la compréhension de la course du soleil dans le ciel, du cycle des saisons et celle philosophique comme la condition de tout homme sur terre rappelée par la devise du cadran solaire de Bar.
La restitution
Si nous pouvions trouver qui était propriétaire de cette bâtisse au début du XVIII siècle (millésime sur le linteau de porte : P 1730 D) nous pourrions nous faire une idée plus précise des probabilités de la date de réalisation de cette montre solaire. Il paraît peu probable que de simples paysans du Ségala aient fait réaliser avant la Révolution Française une telle oeuvre. Le dessin de restitution ci-dessus à l’échelle, reprend fidèlement, à partir de la photo d’archives, les lignes de son tracé mathématique calculé pour la région de Bar. Comparé à une étude moderne, le tracé est juste et les points de repères gnomoniques concordent. Toutefois en ce qui concerne les segments de droite des lignes des demi-heures, il faut encore à partir de photos existantes se faire une opinion plus tranchée.
Sur le cadran de la Besse on retrouve la même organisation que pour celui de Bar. La devise seule change de position.
Le début de la devise et sa position occupée sur la table du cadran est correcte. La fin de cette dernière, Sicut Umbra, est imaginée. Les chiffres romains ainsi que le bandeau circulaire qui les porte sont conformes à l’original. Le millésime ici est celui de la création de la maison, ce n’est pas celui du cadran. Tout semble concourir vers une réalisation gnomonique du XVIII siècle, mais pour qu’elle décennie ? Sur la photo, les marques de gravure du cadranier sont encore bien visibles. Elles le sont encore d’avantage sur celui de la Besse.
Il reste maintenant à souhaiter que quelques informations supplémentaires viennent nous aider à mieux cerner l’histoire de ce vieil indicateur du temps, que nous saurons, faute de restaurer, faire revivre dans l’histoire du petit village de Bar.
Didier Benoit.