Définitions et exemples de cadrans solaires canoniaux.
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Avec le Moyen-âge, l’heure antique à durée variable comprise entre le lever et le coucher du soleil, disparaît au profit d’un tout nouveau genre de cadran solaire : Les cadrans canoniaux, ou cadrans de prières. Contrairement à ses prédécesseurs, ils ne donnaient pas d’heure au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Ils ne comportaient aucune indication chiffrée. Ils donnaient des heures inégales au cours d’une même journée et variables selon la saison. Par convention, lorsque l’ombre du style tombait sur un segment de droite, telle prière devait être faite ou tel office célébré.
Les cadrans canoniaux
Le département du Tarn possède de nombreux vestiges de cadrans solaires de prières comme celui de l’église de Pouzounac (à ce jour 46 ont été recensé). Ils sont les témoins de la christianisation du temps en terre païennes qui s’est accomplie entre le VI et le XIVe siècle.
Un cadran canonial est une marque lapidaire de petite surface que l’on trouve sur les façades sud des édifices religieux médiévaux. De facture extrêmement simple, ils reproduisent toujours le même dessin constitué de trois à douze segments de droite convergents vers l’emplacement d’un style droit perpendiculaire au mur en pierres fait dans la plupart des cas en bois dur (rarement en fer).
Tracé académique d’un cadran canonial avec ses 4 secteurs pour les seuls cinq moments d’oraisons diurnes marquées par l’ombre du style droit.
Le tracé des divisions se fera souvent à l’intérieur d’un demi-cercle comme pour celui de Saint Baudile à Pont-de-l’Arn (Tarn), ou d’un cercle comme ceux de Saint Michel de Lescure-d’Albigeois (Tarn). Beaucoup d’entre eux se contenteront de trois segments gravés, leur ligne d’horizon contenant « Prime et Vêpres » étant représentée soit, par l’arête supérieure de la pierre ou par le plan de joint d’appareillement comme celui de Saint Pierre de Rosède à Graulhet (Tarn).
Un des trois Cadrans canoniaux cerclés, symbole du monde chrétien, du Prieuré Saint Michel de Lescure-d’Albigeois daté du XIe siècle.
A ces premiers segments de droite justifiés par les cinq moments d’oraison qui vont de « Prime à Vêpres » et qui constituent l’ossature de nos horloges primitives, viennent parfois s’intercaler des droites temporelles intermédiaires. Nombre de cadrans canoniaux ont 6 – 8 – 9 – 10 – 11 – 12 secteurs compris dans un demi-cercle. Certains cadrans canoniaux porteront les heures liturgiques situées au dessus de la ligne d’horizon limitée par Prime et Vêpres avec parfois des heures temporelles intermédiaires. Toutes ces heures ne sauront en aucun cas marquées par la projection de l’ombre du style droit du cadran canonial. On obtiendra ainsi des cadrans allant jusqu’à 24 secteurs qui ne seront pas sans rappeler pour ceux d’entre eux qui seront seulement rayonnant l’image d’un ostensoir comme celui de l’église Saint Michel de Mouzieys-Panens (Tarn). Quant à ceux dont les segments rayonneront dans un cercle, ils représenteront le symbole du monde chrétien, image Christique par excellence. La recherche de la symbolique et de l’esthétique de l’œuvre sera dans ce cas l’unique raison comme pour celui de l’église Saint Martial de Pouzounac (Tarn) qui possède dans un double cercle quinze segments de droite visibles aujourd’hui.
Cadran canonial rudimentaire de l’église de Saint Pierre de Rosède à Graulhet. L’alignement de l’ombre du style droit sur l’arête horizontale du haut de la pierre qui porte le tracé situe les limites de fonctionnement du cadran.
Si la grande majorité, pour ne pas dire la totalité de ces marques lapidaires rayonnantes ou rayonnantes et cerclées est de facture archaïque, il existe une toute petite minorité de cadrans canoniaux remarquables par leur conception. Le modèle de la Chaise Dieu (Haute-Loire) en est un. L’abbaye étant sur le chemin de Compostelle, la forme de son cadran rappelle celui d’une coquille. Pour certains d’entre eux, le mur porteur disparaîtra et fera place à de superbes statues en ronde-bosse, comme l’homme et l’enfant au cadran solaire canonial de la cathédrale de Strasbourg.
Remarquable cadran canonial de l’abbaye de la Chaise Dieu en Haute Loire.
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Les Heures canoniales
En vue de pacifier et d’unifier son territoire pour en faire un nouvel empire d’occident, Charlemagne imposera à toutes les églises qui avaient des traditions de cultes chrétiens différentes, de célébrer la liturgie de l’Eglise de Rome. Le droit canon de Rome (droit de l’église) sera diffusé dans toutes les églises et cela à la place des diverses collections canoniques existantes. Son fils Louis le Pieux terminera son œuvre en imposant la règle des moines de Rome, celle de saint Benoit de Nursie à tous l’Empire.
Dans sa règle (1) écrite vers 529, Saint Benoit met en place une vie communautaire solidement structurée, sous l’autorité d’un père spirituel, l’abbé. Il organise la vie des moines à travers trois activités principales : l’office divin (En latin Opus Dei, ou œuvre de Dieu), la lecture priante de l’Ecriture Sainte ou d’auteurs spirituels (C’est la lectio divina) et le travail manuel. Comme dans toutes les traditions monastiques, la prière occupe une place centrale. Benoît privilégie la prière communautaire qui s’exprime surtout dans l’office divin par la Liturgie des Heures réparties en huit moments de la journée. Ce mouvement disciplinaire érigé en forme de décret, canon, correspond aux besoins spirituels du temps. Les termes « chanoine », « canonial », montrent que sa doctrine spirituelle a pris corps en des textes fondateurs, livres sacrés (apostoliques, patristiques), tout comme les heures sont dites canoniales parce que saint Cassien les référa au psaume 119 (2)
« 7 fois le jour j’ai dit ta louange, 1 fois la nuit je me lève pour te célébrer Seigneur ».
Ce sont ces moments de prières, d’offices qui définiront les heures canoniales. Ils se célèbrent de la sorte : Laudes à l’aurore, Prime première heure du jour (sur la ligne d’horizon du cadran), Tierce troisième heure du jour, Sexte sixième heure du jour (midi), None neuvième heure du jour, Vêpres le soir (sur la ligne d’horizon du cadran), Complies au coucher, Matines ou Vigiles après minuit.
Un cadran canonial donne donc des repères conventionnels défini par la liturgie des heures n‘ayant aucune attache directe avec la fuite du temps.
Les offices de, Prime, Tierce, Sexte, Nones et vêpres sont pointées pour bien les détacher des heures temporaires intermédiaires. Vestige du Xe siècle de l’abbaye de Saint-Pons- de-Thomières (Hérault).
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La lecture des heures sur un cadran canonial
Répartie en huit moments de la journée, la lecture des heures devrait se définir et se limiter à huit divisions fixent dont sept pour le cadran solaire (deux ne peuvent pas être marquées par l’ombre du style ; la huitième étant de nuit). Mais pour des raisons de vie communautaire un cadran canonial peut comporter des lignes horaires autres que canoniales pouvant rythmer la vie religieuse et peut être même civile. C’est le cas du canonial de Saint Martial ou quinze secteurs restent visibles. En fait il est dit dans la règle de saint Benoit, que chaque communauté est libre d’adapter son temps en fonctions des impératifs du moment. Au chapitre 48 concernant le « Travail manuel quotidien » les horaires d’activité (Tierce None etc.) sont cités avec les adjectifs de : Péne, quasi, médiante et pléna. Cela laisse beaucoup de marges d’interprétations et la possibilité de créer des lignes intermédiaires qui correspondent mieux à des besoins à certain moment de l’année. Pour ne pas se perdre dans le tracé de toutes ces lignes horaires, certain canoniaux auront leurs heures fixes de différenciées afin de les détacher rapidement de l’ensemble et faciliter la lecture. A saint Martial (Tarn) des flèches situaient les heures de Prime, Tierce, Sexte et Vêpres. A saint Cécile du Cayrou (Tarn) se sont des trous. Dès l’établissement des heures canoniales, l’horaire très simple, articulé sur les heures immobiles de Tierce, Sexte et None devient une savante marqueterie où chaque office est susceptible d’être avancé, reculé ou même tout simplement omis, selon la commodités du travail: Tierce est célébrée à la deuxième heure en hiver, et probablement à la quatrième en été; Sexte est tantôt dite à une heure indéterminée, tantôt passée sous silence; None est avancée au milieu de la huitième heure et probablement retardée jusqu’à la dixième, sinon complètement omise, durant le carême.
Gaspard de Soif (3), moine de Vaucelles au XVe siècle dans un de ses écrits (Du Cange à la rubrique «horologium») nous dit : « Il y avait au centre du cloître un cadran solaire sur un disque en bois dont la partie inférieure était marquée des 12 heures du jour. Non seulement les heures étaient montrées avec soin sur ce disque, mais aussi les points, avant et après, comme on les lit dans la règle de Saint Benoit, c’est-à-dire : presque quatrième heure, presque sixième heure, troisième heure exacte, dixième exacte et celle que l’on appelle moitié de la huitième heure ».
Sainte Cécile du Cayrou, des marques gravées dans la pierre suivent le prolongement de certaines lignes horaires tout en décrivant un arc de Ces repères très visuels facilitent la lecture et permettent aussi de mieux situer les différentes variations saisonnières.
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Exemple de répartition des heures canoniales pour le cadran de Saint Martial de l’église de Pouzounac dans le Tarn
(Il s’agit d’une Interprétation personnelle)
Les planches qui suivent permettent de mieux situer la répartition des offices journaliers sur le tracé du cadran canonial de Saint Martial de Pouzounac dans le Tarn et de le comparer à des tracés mathématiques laissés aux érudits médiévaux, du moins en ce qui concerne la dernière figure. J’ai réalisé ces calculs en considérant une déclinaison nulle pour le mur qui porte le cadran. En réalité, l’église Saint Martial a sa façade méridionale légèrement déclinante vers l’ouest d’une dizaine de degrés. La différence étant minime, je me suis épargné des opérations fastidieuses pour quelques petits degrés. Saint Hildevert me le pardonnera.
Le dessin ci-dessous montre les possibilités de lecture des différents offices que les hommes de Dieu ont peut-être voulus pour le cadran de Saint Martial. Les parties tracées en traits non continus restent du domaine de la supposition. L’interprétation de l’office divin ci-dessous vient de la règle de Saint Benoit.
Les cinq moments de prière que sont P(rime), T(ierce), S(exte), N(one), V(êpres) sont démarquées par des repères en forme de flèche. Cela permet d’un simple regard de les situer sur le cadran et de faciliter la lecture des heures. La ligne P V marque la ligne d’horizon du lieu et les limites de fonctionnement du cadran. La verticale S, situe la culmination de midi, soit le milieu de la journée de lumière. T et N sont les marques médiantes et situent, une le milieu de la matinée et l’autre le milieu de l’après midi. La division duodécimale du demi-cercle se veut à l’image des heures antiques et proche de la réalité biblique. Le levé du soleil donne le départ de la première heure, sont coucher clos la dernière. La lecture de ces seuls repères suffit grandement pour justifier le fonctionnement de cette horloge primitive.
L’organisation monacale à ces début est tributaire des fruits de la terre. Le moine doit subvenir à ses propres besoins et si possible pour atteindre le bonheur extrême partager avec les nécessiteux. Pour cela saint Benoit démarque pour l’année trois périodes liées aux saisons avec des horaires bien distincts. Cela contribue aussi à couper la monotonie dans la communauté. Ces périodes sont: L’horaire d’hiver, l’horaire d’été et l’horaire de carême. En s’appuyant sur le chapitre 48 de la règle de Saint Benoit, la disposition horaire ci-dessus tient compte de la place que pourrait prendre chaque office au moment de chacune de ces périodes. TOC (tierce du premier octobre au début du carême) – TC (tierce au moment du carême) – TPO (tierce de Pâques au premier octobre) – SPO (sexte de Pâques au premier Octobre) – NPO (none de Pâques au premier octobre) – NOC (none du premier octobre à carême) – NC (none pendant le carême).
Pour conclure
Le « Sacrifice de Louange, l’office divin, la liturgie des heures» afin de christianiser le temps, non celui de l’histoire mais celui du salut des hommes (Denis Schneider). Voilà la mission de ce bien modeste type de cadran solaire.
Son installation sur le mur méridional des églises, au milieu des tourments de la fin du premier millénaire, pour célébrer l' »Opus Dei », avec la complicité de ses moines réguliers semble bien être sa seule fonction.
L’union de ses heures canoniales à ses heures temporelles intermédiaires, n’a certainement jamais été mise en place pour les habitants séculiers.
Priez et travailler, comme le préconise Saint Benoit «orare et laborare», sans jamais s’écarter de la Règle, voilà le temps qu’a marqué ce cadran et qu’ont célébré durant des décennies les moines réguliers et peut être le clergé séculiers attachés à nos églises.
Notes
(1) Au-delà de sa grande influence religieuse, la règle de saint Benoit est un des plus importants travaux écrits durant la formation de la société médiévale, incarnant en tant que telle l’idée d’une constitution écrite, et d’une autorité limitée par la loi.
(2) Actuel psaume 118
(3) Gaspard de Soif, nous confirme l’existence de cadrans canoniaux réalisés sur bois. Aucun exemplaire ne nous est parvenu.
Bibliographies
Denis Savoie : Gnomonique moderne. Société Astronomique de France
Denis Schneider : Les cadrans canoniaux. Société Astronomique de France
Bernard Arquier : Traces d’horloges solaires primitives sur les édifices religieux médiévaux de l’Aude, de l’Hérault et des Pyrénées Orientales.
Didier Benoit.