Cadrans solaires anciens du Tarn

Anciens cadrans solaires du Tarn.

Des origines des instruments à ombre aux cadrans solaires anciens du Tarn (81).

 

 

Des origines des instruments à ombres aux cadrans solaires anciens du Tarn

 

Castors et Pollux de la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi, plus vieille composition gnomonique peinte au monde.

Castor, unique cadran solaire miroir du monde des morts.

Autant par son silence que par sa devise, le cadran solaire nous invite à méditer. Il est un excellent enseignement pour le passant ; c’est pourquoi on le plaçait, sur les églises, les écoles, les mairies, les moulins, les fermes aux croisées d’un chemin. Il n’est personne à qui la vue d’un cadran solaire n’ait inspirée de graves réflexions. Devant notre vie si courte, n’oublions pas le prix du temps ». (Inscriptions et devises horaires Baron Edmond de Rivières. Albi 1835 Rivières 1909)

Durant combien de temps, les instruments à ombre ont présidé la destinée des hommes ? Voilà une question à laquelle il est bien difficile de répondre. Il est sûr que dès les premiers temps de l’humanité, nos ancêtres ont éprouvé le besoin de se situer dans l’espace et dans le temps. Mais des millénaires défileront avant que, dans l’esprit des hommes, naisse le concept de mesure du temps et celui des instruments qui vont avec, dont les cadrans solaires à style polaire et heures égales seront jusqu’au porte du XX siècle l’aboutissement.

Les origines des instruments à ombre

« Il y eut un soir, il eut un matin » nous dit la Bible dans la Genèse, entre les deux la nuit, en suivant le jour. Ces deux phénomènes naturels sont les premiers jalons de la longue conquête du « temps qui passe » par l’Homme. Petit à petit, et cela, sur plusieurs milliers d’années, il constate la succession des jours et des nuits qui ne se ressemblent pas : ils s’allongent, raccourcissent, marquent des périodes de froid ou de chaud, de pluie ou de sécheresse. Il s’interroge sur l’apparition de la Lune et des étoiles, sur le mouvement du Soleil qui le dote d’une ombre ainsi que des éléments qui l’entourent. Il remarque le mouvement des ombres tout au long de la journée : longue le matin, courte au milieu de la journée, à nouveau longue le soir. Il en déduit qu’il peut s’aventurer loin de son abri tant que son ombre se réduit et qu’il doit au plus vite le rejoindre dès qu’elle croît afin de ne pas se retrouver prisonnier de la nuit, synonyme pour lui de tous les dangers. De là, en déduire que la mesure du temps était née! Ce serait prétentieux devant l’Histoire, mais l’idée est en gestation.

Principe du gnomon

La division du jour

Des phénomènes naturels observés par l’homme, l’heure n’en fait pas partie, (elle est une convention, une décision arbitraire, un découpage du jour qui n’a rien à voir avec un mouvement astronomique). L’heure à ses débuts est celle d’une certaine élite et celle des prêtres, afin de déterminer avec le plus de précision possible, lors des observations nocturnes, le moment des prières et entrer en communication avec les dieux. La division du jour en deux fois douze heures (douze heures de nuit et douze heures de jour) est d’origine égyptienne et date de vers -1300, de même que les plus vieux instruments de mesure du temps (cadrans à ombre) connus et les plus vieux témoignages écrits les concernant nous viennent de ce pays. De l’Egypte ancienne nous viendra aussi les instruments hydrauliques fonctionnant par écoulement (les horloges hydrauliques). Ces heures sont appelées heures temporaires, plus tard : inégales, antiques, judaïques, bibliques, voire romaines.
Le jour est divisé en douze parties égales quelle que soit la saison. L’heure est donc la douzième partie de l’espace-temps compris entre le lever et le coucher du soleil. Le Soleil ne reste pas le même temps tout au long de l’année au-dessus de l’horizon. En hiver, sous nos latitudes, l’heure est beaucoup plus courte (40 minutes environ) que celle d’été (80 minutes environ), mais surtout les heures des nuits n’ont pas la même valeur que celle du jour (sauf bien sûr au moment des équinoxes où chaque heure égale 60 minutes).

 

Hémicyclium à Nissan-lez-Ensérune (34) – Scaphe à œilleton.

Ce type de division irrégulière du temps n’est pas facile et ne peut être séparé du calendrier des saisons. Il situe d’avantage une période de la journée qu’un moment précis. De plus, si ce découpage du jour est adopté par l’ensemble des peuples antiques, il en va tout autrement pour décider de son agencement et définir quelle est la première heure qui marque le moment du début de la journée. Quand débute le jour ? Une question au demeurant simple, mais qui demandera des siècles pour être résolue.  Les Babyloniens l’ont établi du lever du soleil à son coucher, la plupart des habitants de l’Ombrie de la culmination de midi à l’autre, les Athéniens d’un coucher à l’autre (principe de calcul pour le déroulement des jours de la Genèse), les Romains de minuit à minuit. De ces modes de comptage du temps naîtront les heures babyloniques et les heures italiques qui se différencieront par leur mode de calcul des heures temporaires. Toutes les trois perdureront et seront abandonnées, progressivement, à partir du XVIII siècle, pour adopter le système des heures égales plus moderne.
Le fait que l’heure ne soit pas née d’une observation naturelle, mais de la volonté des hommes, il faudra attendre longtemps avant qu’ils ne lui donnent une valeur et une définition commune acceptée par tous. Cela se fera à New-York en 1887  lors de la création des fuseaux horaires et l’établissement du temps universel (la France boude cet accord jusqu’en 1911, car Paris n’est pas choisi pour le méridien référent, mais Greenwich.)

Nous avons conservé, de l’Antiquité, une multitude d’instruments de mesure du temps et les connaissances sur l’emploi qu’en faisaient les hommes de cette époque.
La fin de l’Empire romain verra la mise en sommeil des nombreuses connaissances astronomiques acquises durant cette fertile période. De cette époque faste pour les cadrans solaires, notre département n’a, à ce jour, conservé aucune trace matérielle, malgré une lecture nombreuse de sites archéologiques gallo-romains sur son territoire.

Le temps médiéval, les premiers cadrans solaires du Tarn

Pour notre continent, l’Antiquité tardive et le Moyen-Age qui s’ouvre vont être dominés, par la nouvelle religion montante, le christianisme, et avec elle, un certain obscurantisme enverra l’astronomie dans les armoires de l’Histoire. Seuls quelques rares savants conserveront ce savoir et c’est surtout dans les pays arabes que se trouveront les véritables continuateurs de la gnomonique Antique.
Le temps médiéval se caractérise par l’avènement d’un nouveau type de cadran à ombre dont le tracé des lignes horaires, bien que conservant la division duodécimale de l’Antiquité, n’a rien à voir avec les mouvements de la mécanique céleste : les cadrans canoniaux ou cadrans de prières. Ces cadrans n’avaient pas vocation à donner l’heure au sens où nous l’entendons aujourd’hui, ou comme celle perçue durant la période antique. Ils ne comportent aucune indication chiffrée. Les heures y étaient inégales au cours d’une même journée et modulables selon la saison et l’organisation de la communauté religieuse. Lorsque l’ombre du style droit tombait sur tel ou tel segment de droite limitant un secteur, telle prière devait être dite ou tel office célébré.

Cadran canonial académique

Dès le V siècle, le mouvement apparent du Soleil a servi à l’ordonnance des prières dans les monastères. On connaît l’usage qu’en faisaient les moines sur de simples cadrans solaires verticaux pour fixer les moments de la journée et avec lui celui des prières. L’office divin, était composé de prières dites « canoniales » parce qu’elles étaient définies par des canons (règles). Ainsi, les « heures canoniales » sont à la fois des moments de la journée et des prières récitées à ces moments (hymnes, psaumes, antiennes, capitules, collectes, lectures, évangiles…) et dont le programme journalier constitue l’office divin. Ces prières « vocales » sont récitées ou chantées et pas seulement lues « de tête ».

Déterminer l’heure au monastère était indispensable, surtout de nuit. Des frères étaient chargés de cette mission. Les moyens à leurs dispositions étaient eux aussi de type naturel : observation des étoiles, chant du cop (Règle du Maître)…etc. Pour les ordres les plus fortunés,  l’utilisation des horloges à eau est avérée. Les clepsydres ainsi que les tables des ombres, les chandelles temporaires sont en usage, cependant le moyen le plus simple, reste le temps de paroles, le temps de récitation pour marquer une période comme la prise d’un repas, ou celui d’une veille.

Saint Martin des Sarmazes (81) – Saint Sernin les Mailhocs (81)

Saint-Pierre de Rosède à Graulhet (81)  –  Saint-Martial de Pouzounac à Le Garric (81)

Pour l’ensemble des hommes et des femmes de cette époque, le souci de précision, tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’existe pas. Pour les clercs réguliers la journée commence aux alentours de minuit avec mâtine (si frère Jacques ne s’était pas endormi) pour les autres (les gens du siècle) avec l’aube. Elle est réglée dans le meilleur des cas par la course du Soleil, mais aussi, dans les cités et bourgs à monastères et collégiales, par les sonneurs de cloches. Dans certaine ville comme à Albi, un temps civil est égrené par des sonneurs de ornhe (*).

Chaque lieu de vie a ses propres pratiques quotidiennes et leurs variations d’un lieu à l’autre, d’une ville ou d’une région à l’autre seront importantes. Il n’existe pas au Moyen-Age de standardisation.

Le département du Tarn possède de nombreux vestiges de cadrans solaires de prières (48 recensés à ce jour). Sur ces terres païennes ils sont les témoins de la christianisation du temps qui s’est accomplie entre les VI et XIVe siècles. Un cadran canonial est une marque lapidaire (il ne s’en est jamais trouvé dans le monde chrétien à ce jour sur une autre matière) de petite surface que l’on trouve sur les façades sud des édifices religieux médiévaux. De facture extrêmement simple, ils reproduisent toujours le même dessin constitué de trois à douze segments de droite concourant vers le même point de construction et lieu d’implantation du style droit (bâton de bois dans la majorité des cas).

(*) Auguste Vidal « Le crucifiement de la ornhe ». Célèbre procès albigeois du sonneur et de sa trompe (ornhe). Le sonneur de son côté sera bastonné et perdra sa fonction de gardien de la cité.
Le tracé des divisions se fera souvent à l’intérieur d’un demi-cercle comme pour celui de Saint-Baudille à Pont de l’Arn, Saint Martin des Sarmazes à Souel ou d’un cercle comme ceux de Saint-Michel de Lescure, de Cadalen et de Labruguière. Les plus rudimentaires se suffiront de leurs simples lignes de démarcation et laisseront au relief de l’appareil les portant de les limiter et situer la ligne d’horizon, (comme celui de Saint-Pierre De Rosèdes  à Graulhet et de Mailhoc).

Saint-Thyrs de Labruguières (81) – Saint-Michel de Lescur (81) – Eglise de Montégut Lisle-Sur-Tarn (81)

A ces premiers segments de droite justifiés par les cinq moments d’oraison qui vont de « Prime à Vêpres » et qui constituent l’ossature de nos horloges primitives, viennent parfois s’intercaler des droites temporelles intermédiaires. Nombreux cadrans canoniaux ont 6 – 8 – 9 – 10 – 11 – 12 secteurs compris dans un demi-cercle. Certains cadrans canoniaux porteront les heures liturgiques situées au-dessus de la ligne d’horizon limitée par Prime et Vêpres avec parfois des heures temporelles intermédiaires. Toutes ces heures ne sauront en aucun cas marquées par la projection de l’ombre du style droit du cadran canonial. On obtiendra ainsi des cadrans allant jusqu’à 24 secteurs qui ne seront pas sans rappeler, pour ceux d’entre eux qui seront seulement rayonnants, l’image d’un ostensoir comme celui de l’église Saint-Michel de Mouzieys-Panens. Quant à ceux dont les segments rayonneront dans un cercle, ils représenteront le symbole du monde chrétien, image christique par excellence. La recherche de la symbolique et de l’esthétique de l’œuvre sera dans ce cas l’unique raison comme pour celui de l’église Saint-Martial de Pouzounac possédant dans un double cercle, quinze segments de droite visibles aujourd’hui, sa partie haute étant ruinée

Si la grande majorité, pour ne pas dire la totalité de ces marques lapidaires rayonnantes ou rayonnantes et cerclées est de facture archaïque, il existe une toute petite minorité de cadrans canoniaux remarquables par leur conception. Le modèle de la Chaise-Dieu (Haute-Loire) en est un. L’abbaye étant sur le chemin de Compostelle, la forme de son cadran rappelle celui d’une coquille. Pour certains d’entre eux, le mur porteur disparaîtra et fera place à de superbes statues, comme l’homme et l’enfant au cadran solaire  canonial de la cathédrale de Strasbourg.

 

En vue de pacifier et d’unifier son territoire pour en faire un nouvel empire d’Occident, Charlemagne imposera à toutes les églises, qui avaient des traditions de culte chrétien différentes, de célébrer la liturgie de l’Eglise de Rome (le droit canon de Rome diffusé dans toutes les églises, remplace les diverse collections canoniques existantes). Son fils Louis le Pieux terminera son œuvre en imposant la règle des moines de Rome, celle de Saint Benoit de Nursie à tout l’Empire.
Tous les cadrans canoniaux du département du Tarn marquent le temps de la règle de Saint-Benoît de Nursie ; ils nous viennent d’édifices religieux post carolingiens qui s’échelonnent sur une période allant du X au XIV siècle.

Abbaye de la Chaise-Dieu en Haute-Loire (43) – Saint-Baudille à Pont de l’Arn (81)

Croix de l’église d’Alayrac (81)- Sainte-Marie de Cadalen (81)

Dans sa règle (1) écrite vers 529, Saint Benoit met en place une vie communautaire solidement structurée, sous l’autorité d’un père spirituel, l’abbé. Il organise la vie des moines à travers trois activités principales : l’office divin (en latin Opus Dei, ou œuvre de Dieu), la lecture priante de l’Ecriture Sainte ou d’auteurs spirituels (c’est la lectio divina) et le travail manuel. Comme dans toutes les traditions monastiques, la prière occupe une place centrale. Benoît privilégie la prière communautaire qui s’exprime surtout dans l’office divin par la liturgie des Heures réparties en huit moments de la journée : laudes à l’aurore, Prime première heure du jour (sur la ligne d’horizon du cadran), Tierce troisième heure du jour, Sexte sixième heure du jour (midi), None neuvième heure du jour, Vêpres le soir (sur la ligne d’horizon du cadran), Complies au coucher, Matines ou Vigiles après minuit.

Ce mouvement disciplinaire érigé en forme de décret (canon), correspond aux besoins spirituels du temps. Les termes « chanoines  » ,  » canoniaux », montrent que sa doctrine spirituelle a pris corps en des textes fondateurs, livres sacrés (apostoliques, patristiques), tout comme les heures sont dites canoniales parce que Saint Cassien les réfère au psaume 119 (2).
« 7 fois, le jour, j’ai dit ta louange, 1 fois la nuit, je me lève pour te célébrer Seigneur ».
Ce sont ces moments de prières, d’offices, qui définiront les heures canoniales.

(1) Au-delà de sa grande influence religieuse, la règle de saint Benoit est un des plus importants travaux écrits durant la formation de la société médiévale, incarnant en tant que telle l’idée d’une constitution écrite, et d’une autorité limitée par la loi.

2) Actuel psaume 118

La lecture des heures sur un cadran canonial

Répartie en huit moments de la journée, la lecture des heures devrait se définir et se limiter à huit divisions fixes (sept pour le cadran solaire, bien que deux ne puisent pas être marquées par l’ombre du style – et une de nuit). Parfois pour des raisons de vie communautaire un cadran canonial peut comporter des lignes horaires autres que canoniales pouvant rythmer la vie religieuse et peut être même civile. En fait, il est dit dans la règle de saint Benoit, que chaque communauté est libre d’adapter son temps en fonction des impératifs du moment.

Au chapitre 48 concernant le « Travail manuel quotidien » les horaires d’activité (Tierce, None, etc) sont cités avec les adjectifs de: péne, quasi, médiante et pléna. Cela laisse beaucoup de marges d’interprétations et la possibilité de créer des lignes intermédiaires qui correspondent mieux à des besoins à certains moments de l’année (temps des semailles, moissons, etc).

Pour ne pas se perdre dans le tracé de toutes ces lignes horaires, certains cadrans auront leurs heures fixes canoniales différenciées afin de les détacher d’un simple regard de l’ensemble et faciliter la lecture. A Saint-Martial de Pouzounac, des flèches situaient les heures de Prime, Tierce, Sexte et Vêpres, à Sainte- Cécile du Cayrou se sont des trous.

Dès l’établissement des heures canoniales, l’horaire très simple, articulé sur les heures immobiles de Tierce, Sexte et None, devient une savante marqueterie où chaque office est susceptible d’être avancé, reculé ou même tout simplement omis, selon les commodités du travail et la volonté de l’abbé. Saint-Benoît de Nursie, afin de casser la monotonie de la vie monacale, divisera l’année en trois périodes articulées autour de Carême :

– Tierce est célébrée à la deuxième heure en hiver, et probablement à la quatrième en été

– Sexte est tantôt dite à une heure indéterminée, tantôt passée sous silence

–  None est avancée au milieu de la huitième heure et probablement retardée jusqu’à la dixième, sinon complètement omise, durant le carême.

Gaspard de Soif, moine de Vaucelles au XVe siècle, nous dit, dans un de ses écrits (Du Cange à la rubrique «horologium») : «Il y avait au centre du cloître un cadran solaire sur un disque en bois dont la partie inférieure était marquée des 12 heures du jour. Non seulement les heures étaient montrées avec soin sur ce disque, mais aussi les points, avant et après, comme on les lit dans la règle de Saint Benoit, c’est-à-dire : presque quatrième heure, presque sixième heure, troisième heure exacte, dixième exacte et celle que l’on appelle moitié de la huitième heure»(3).

Sainte-Cécile du Cayrou (81) – Abbaye de Saint-Pons-de-Thomières (34)

Saint Eloi de Malhocs (81) – Saint Michel de Mouzieys Panens (81)

(3) Gaspard de Soif, nous confirme l’existence de cadrans canoniaux réalisés sur bois. Aucun exemplaire  ne nous est parvenu.

La grande majorité des vestiges des cadrans canoniaux du Tarn ne répond plus aux marques de décalage des heures liturgiques dues à la variation saisonnière des instants de prières, comme on peut le voir sur celui de Sainte Cécile du Cayrou ou sur celui de Saint Martial de Pouzounac (l’exemple par excellence de ce type de canonial se trouve sur la cathédrale de Saint Pons de Thomières dans l’Hérault). Il faut toutefois reconnaitre que le gommage du temps sur les pierres qui les portent ne laisse voir que les parties sculptées les plus profondes. Mais tous, sans exception, sont les passeurs de temps des heures chères à l’église de Rome, celles qui ont marqué la vie et la mort du Christ.

La lecture de l’heure sur un cadran canonial ne nécessite pas de se livrer à des calculs complexes. L’intérêt de diviser en 12 intervalles le temps compris entre lever et coucher du soleil permet de connaître par un simple calcul mental le temps restant avant le coucher du soleil ou le temps écoulé depuis son lever. Il y a un paramètre dont il faut tenir compte (même si nous en avons aucune preuve historique à ce jour) c’est celui de l’accompagnement de nos horloges primitives par des signes peints. Sur les murs des églises de Saint Michel-de-Lescure, Saint-Thyrs de Labruguière, se trouvent des canoniaux ayant des restes de polychromie fort anciens dont la pigmentation mériterait une recherche en laboratoire. Peut-être là se trouve l’une des clés mystérieuses pour pénétrer l’intimité de nos horloges primitives ?

Les chanoines réguliers (qui avaient charge d’âmes et assuraient la « cura animarum » pour le peuple qui gravitait autour de nos premières églises)  étaient disposés à cette organisation journalière, cependant il est difficile de dire à quel point cette main-mise religieuse du temps, hors de la vie de l’église, a exercé une influence sur les gens du siècle.

Saint-Amans de Lincarque (81) – Saint-Martin de Vindrac (81)

Le Carla Castelnau de Lévis (81) – Saint Marie de Sanguinou Caucalières (81)

A la touchante simplicité du cadran canonial répond  la grandeur de sa fonction : le sacrifice de louange, l’office divin, la liturgie des heures  afin de christianiser le temps, non celui de l’histoire, mais celui du salut des Hommes. Leur installation sur le mur des petites églises de campagne perdues en terre albigeoise, au milieu des tourments de la fin du premier millénaire, pour célébrer « l’Opus Dei », avec la complicité de ses moines réguliers a été leurs seules fonctions. «Orare et laborare»,  comme le préconise Saint Benoit : Prier et travailler, sans jamais s’écarter de la Règle. Voilà l’unique mission de ces biens modestes montres solaires.

Chapelle de Vitrac à Sieurac (81)

L’époque post-canoniale, l’époque moderne

Après mille ans d’utilisation en Europe, à partir du XIV siècle, les cadrans solaires canoniaux (à la mesure du temps élastique) vont disparaître et céder définitivement leur place (pour l’égrenage du temps de la liturgie des heures) aux horloges de cloches (dont les premières, mi horloge hydraulique/mi mécanique, ayant vu le jour à la fin du XIII siècle).

A leur place, un peu partout en Europe, durant une période courte (du XIV au XV siècle), on trouve des cadrans solaires civils qui fonctionnent suivant le principe des cadrans canoniaux, sans construction mathématique. Une longue tige droite illimitée sert de style. Le passage de son ombre sur les repères donne l’information décidée par son créateur et comme toute information, juste ou fausse ; si elle se trouve acceptée comme correcte par les usagers, elle le devient par la force des choses. Le petit cadran solaire du pilier du Baldaquin de la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi, en est un très bel exemple.

Saint Etienne de Fayssac (81) – Saint Jacques de Donnazac (81) – Cathédrale Sainte Cécile Albi

Avec la fin du XV siècle, en Europe, débute une toute nouvelle période de révolution intellectuelle et scientifique. Des grands noms, comme Tycho Brahé et Nicolas Copernic, vont bousculer les conceptions des anciens sur la position et le rôle du Soleil dans l’univers et vont ouvrir un débat qui durera jusqu’au début du XIXe siècle, avec l’acceptation définitive de l’héliocentrisme copernicien. De nombreux travaux entrepris par tout un ensemble de mathématiciens, astronomes, théoriciens, dont les Français (Oronce Finé et Guillaume de Nautonier de Castelfranc), mais aussi, Galilée, Gilbert, Klepper, Mûnster, Dürer, Hartman sans oublier Kratzer et Kircher un peu plus tard, vont révolutionner l’approche de la géométrie gnomonique et redonner ses lettres de noblesse à l’astronomie qui va retrouver toute sa place dans les arts classiques des sciences mathématiques.
Le gnomon perpendiculaire à la table du cadran va être remplacé par le style polaire aligné sur l’axe des pôles, et adapté aux heures égales. Le cadran solaire de Cadalen, daté de 1533, fait partie des tous premiers cadrans de ce type créé en Europe (aujourd’hui il n’en reste qu’une dizaine de recensé, c’est dire sa valeur).  Par leurs recherches, ces hommes vont, indépendamment chacun de leur côté amener le cadran solaire à sa perfection, et permettre son utilisation à plus grande échelle. Leurs œuvres vont être publiées et diffusées. L’astronomie très en vogue dans l’enseignement du moment sert de support pour faire connaître cette nouvelle approche de la gnomonique. C’est aussi à cette époque que l’on retrouve la miniaturisation des cadrans solaires afin de l’emporter partout avec soi. Ainsi va naître la mode du « cadran de poche ». La demande va devenir vite importante. Devant un tel succès, une frénésie créatrice et artistique s’empare du sujet. D’objet de voyage, il va devenir objet de bureau et de salon. Cette manifestation d’un art gnomonique nouveau voit la création de petits cadrans solaires très sophistiqués et richement décorés, mais surtout elle va donner cours à une imagination libre et sans limite, à un amusement mathématique qui engendre des monuments solaires constitués d’une multitude de cadrans aux tracés très complexes, dont nos cadrans de Lavaur.

Eglise Notre-Dame  Cadalen (81) – Labruguière Lamothe (81)

Eglise Saint Salvy de Giroussens (81) – Bernac (81)

Le département du Tarn possède sur son territoire, une quantité importante de vieux cadrans solaires qui durant plusieurs siècles (du XVI au XIX siècle) ont présidé à l’activité de ses habitants. Le XVIII siècle est la période la plus faste. Toutes les catégories de cadrans solaires y sont représentées : des plus rustiques aux plus sophistiqués et des plus gros aux plus petits. Ils sont réalisés principalement avec les matériaux du terroir : la chaux présente sur tout son territoire est la matière dominante ; nombreux d’entre eux sont en terre cuite, ainsi qu’en pierre, en bois, en plomb, en fer. Les techniques de facture sur les différents matériaux, vont être celles de la peinture (à fresque ou à détrempe), de la sculpture et de la gravure.

Ce patrimoine fragile, le plus important de Midi-Pyrénées, recèle des pièces uniques comme :

– les cadrans jumeaux (Castor et Pollux) de la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi, plus vieille composition gnomonique peinte (classée monument historique),

– le cosmographe de Sorèze, instrument pédagogique d’astronomie voulu par Napoléon III pour les grandes écoles de France, aujourd’hui unique exemplaire complet restant en France (classé monument historique),

– le régulateur des montres d’Anglès, unique exemplaire connu restant en France des cadrans solaires conçus pour régler les horloges voulu sur tous les édifices public à la fin du Second Empire,

– les monuments solaires du XVII siècle de Lavaur dont un aujourd’hui détient toujours le record européen du plus grand nombre de cadrans solaires réalisés sur un seul bloc de pierre (taille d’une boite à sucre),

– le cadran solaire de Notre-Dame de Cadalen un des plus vieux cadrans solaires d’Europe,

– le cadran solaire de Bernac aux allures républicaines qui a vue le jour lors de l’éphémère division décimale du temps,

… et bien d’autres encore, car la liste est longue.

Partout dans le département du Tarn, on trouve des cadrans solaires, avec des zones à forte concentration principalement en plaine (plaine du Tarn, de l’Agoût). Les régions montagneuses (Ségala, Montagne Noire, mont de Lacaune) sont les moins dotées (4). Les villes, mais surtout les bastides tarnaises, comme Puycelsi et Cestayrols, en sont particulièrement pourvues. En fait, dans le moindre petit village se trouvent des horloges solaires murales. Chaque église en possède une et dans la majorité des cas, deux : un cadran solaire tourné vers l’est, (lumière de Dieu, symbole du Christ ressuscité et de la vie éternelle) et un tourné au sud. Il ne se trouve pas sur les églises de cadrans solaires orientés ouest (symbole du monde des morts et de l’enfer) excepté le cas unique en Europe de la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi. La campagne tarnaise n’est pas en reste, rare sont les puissants corps de ferme qui n’en possèdent pas. Les vestiges, qu’on y découvre de nos jours, montrent des horloges de grandes dimensions afin que l’heure puisse y être lue de loin. Les lieux d’intérêt commun, comme les moulins, les relais-auberge recevant les voyageurs vont posséder leur propre indicateur : le moulin de Puycelsi  possédait quatre cadrans solaires, un sur chaque face de la bâtisse. Les demeures des nobles, des prélats et celles des riches bourgeois tarnais en seront dotées, mais la grande majorité d’entre eux ne seront pas exposés sur les façades, mais posés au sol sur des piédestaux.

Moulin de Bargade à Cordes (81) – Viane (81)

Puycelsi  (81) – Mirandol Bourgnougnac (81)

(4) Les zones les plus à l’ écart transmettront par la mémoire collective de riches anecdotes sur la mesure du temps au quotidien : comme la cuisson d’un œuf à la coque, le temps d’un Ave Maria ou cette histoire récente de la fin du XIX siècle de ce couple de paysans du ségala tarnais qui se présente à l’office du dimanche un lundi matin, car le pain, moins consommé la semaine écoulée, a duré un jour de plus.(le boulanger de la ville d’à côté venait vendre le pain à la sortie de l’office, moment ou tous les habitants du coin se retrouvaient réunis).

Le progrès de l’horlogerie mécanique et sa miniaturisation vont être un levier déterminant pour la prolifération des cadrans solaires. Nulle horloge ne peut être mise en marche sans le soutien d’un cadran solaire. Le XVIII siècle va voir l’apogée des montres solaires avec la vulgarisation des horloges et montres mécaniques en tout genre ; Il va même devenir un acteur principal dans la conquête de la gestion du temps de la production humaine : ce temps mesuré qui ouvre les portes de la révolution industrielle, en attrapant la fuite du temps que les horloges ne savent pas encore parfaitement maîtriser (avant la révolution industrielle, l’heure n’est pas une denrée marchande, elle ne se vend pas, elle se donne) . A Carmaux le cadran solaire de la concession royale du domaine des Solages comprenant un site multifonction (un puits d’extraction du charbon, une verrerie à bouteille et ses annexes, une briqueterie et une tour d’horloge) reste l’un des rares témoins en France de la complicité d’un preneur de temps avec le milieu des manufactures.

Cestayrols  (81) – Salles-sur-Cérou (81)

La Cayla Andillac (81) – Sainte Sigolène Soual (81)

Gardien du temps indétrônable, il devient vite objet de prestige et de réussite sociale pour son propriétaire qui va se servir de son coût, de la complexité de son tracé, de la finesse de sa réalisation et de la pensée morale ou philosophique de sa devise pour afficher son rang social. Faire installer un cadran solaire sur la façade de son logis, c’est permettre à tout un chacun d’y cueillir l’heure (fatalement celle du propriétaire !)

Malgré une densité très forte de cadrans solaires dans notre département, il est un domaine pour lequel nous n’avons quasiment aucune archive : celui concernant les cadraniers et leur méthode de travail. Deux écrits sont connus : celui concernant la facture des décors peints des cadrans solaires jumeaux de la cathédrale d’Albi (mais il ne nous apprend rien sur leur facture) et celui des deux horloges de l’église Saint-Pierre de Bracou à Rabastens où il ne manque que le principe de traçage ; en voici l’extrait.

Gaillac (81) – Villeneuve-sur-Vère (81)

Campagnac (81) – Senouillac (81)

« Mémoires de l’Abbé Gaubert (manuscrit).

En Avril 1741, toute l’église fût réparée à neuf et, le 30 dudit mois, Trégan, marguillier, paia au maçon 10 journées de travail, à raison de 16 sols par journée- Les 17 et 18 Mai suivant, le R.P Lafue, cordelier de Toulouse, fit deux montres solaires au clocher.

Il fallut : 2 livres de céruse à 7 sols la livre, 5 sols de litharge d’or pour dessécher l’huile, 2 sols de noir de fumée et 2 sols de brun rouge.

Les deux barres de fer* furent payées 18 sols.

On donna 6 livres audit père, et le curé paya sa dépense et fournit l’huile gratis. »

Il est vrai qu’un très grand nombre de cadrans solaires est réalisé par des hommes d’église : concernant les Cordeliers à Toulouse, L’abbé Gaubert nous le confirme. De partout en France, les moines assurent l’enseignement et l’astronomie est l’une des sciences mathématiques diffusée ; tel en est le cas pour l’ordre des Jésuites installé à partir de 1623 à Albi ; le cadran solaire horizontal de leur riche propriété à Bellerive étant très certainement l’une de leur œuvre.

Plus au sud, l’école religieuse de l’abbaye de Sorèze, dispense elle aussi cet enseignement. En 1853, les Dominicains feront l’acquisition d’un « cosmographe » de l’inventeur François Ouvrière. Cet instrument pédagogique par excellence, voulu par Napoléon III pour les grandes écoles de France, servira de tuteur à des générations d’élèves pour acquérir les bases de la mécanique céleste. Le cosmographe de Sorèze est, aujourd’hui, l’unique exemplaire abouti restant en France. Celui du lycée Henri IV à Paris en n’est que l’ombre. Des cours pratiques de construction de cadrans solaires y étaient-ils dispensés? Très certainement, lorsque l’on connaît la quantité de montres solaires qui se trouvent dans notre région et au-delà partout en France.
On sait que des cadraniers itinérants se déplaçaient de village en village pour vendre leur savoir. On retrouve leur trace dans la similitude des factures, des devises et des décors vendus et aussi au travers de la mise en place de tracé de cadrans solaires académiques de type méridional, oriental ou occidental, portés sur des murs inappropriés.

Sur les trois cadrans solaires du domaine du Cayla (maison natale de nos poètes romantiques Maurice et Eugénie de Guérin) deux sont de ce type ; seul celui de la gentilhommière (le plus ancien) est de facture scientifique. De ces artisans ambulants, nous n’avons conservé aucun nom pour le Tarn. Leur signature (ou code) ne nous est pas parvenu. En France, très peu de noms de cadraniers itinérants, nous sont connus.

Sorèze (81) – Saint Urcisse (81)

Penne église Sainte-Catherine (81) – Berlats (81)

Expliquer pourquoi notre territoire, par rapport aux territoires voisins avec qui il a beaucoup de similitudes, a concentré et conservé un ensemble gnomonique de premier ordre jusqu’aux portes du XX siècle, reste difficile. Le renouveau religieux dès le X siècle avec l’implantation de ses abbayes et prieurés, l’importance de ses évêchés sous l’Ancien Régime, la pénétration des idées protestantes, la qualité de l’enseignement dans ses écoles, une population terrienne et conservatrice sont des pistes à suivre, mais rien qui ne se démarque vraiment des autres endroits. Il en est de même pour l’ensemble de ses savants et intellectuels, avec toutefois une exception qui n’est pas des moindres dans l’histoire de l’astronomie française : celle de Guillaume-de-Nautonier-de-Castelfranc (géographe et mathématicien du roi Henri IV) a qui nous devons le premier observatoire astronomique de France, construit en 1609/1610 à Montredon-Labessonnié.

Lescure d’Albigeois (81) – L’observatoire de Castelfranc Montredon Labessonnie (81)

Villefranche d’Albigeois (81) – Notre Dame de l’Assomption  Mézens (81)

Les cadrans solaires du Tarn ont une autre spécificité que nous avons pu conserver en partie grâce à un éminent archéologue et célèbre tarnais, le baron Edmond de Rivière. Passionné de cadrans solaires et surtout des devises qu’ils portaient : il est à l’origine, au XIX siècle, des premiers recensements des « devises horaires de France ». Celles concernant notre département sont exceptionnelles et pour la plupart uniques. C’est dire l’importance du rôle et la place donnée durant trois siècles à nos vieux indicateurs du temps.

Salle-sur Cérou (81) – Andillac le Cayla (81)

Campagnac (81) – Carmaux (81)

Aujourd’hui devenus inutiles, les enfants de Phébus tombent lentement en décrépitude et disparaissent petit à petit de nos lieux de vie et de nos mémoires. Rien n’est mis en place par les instances responsables pour conserver la mémoire de ces petits tableaux fragiles, gardiens de la vie sociale des hommes, comme si notre complicité séculaire n’avait aucune valeur historique.

Pourtant, pour l’homme averti, ils se présentent tous, tel un livre ouvert, dont chaque mot invite à la découverte du temps passé.

Eglise Notre Dame de Campes (81) – Eglise Saint Pierre de Gaillac (81) – Eglise Saint Amans de Lincarque (81) – Cathédrale Saint Alain de Lavaur (81) – Château d’Hutaud de Gaillac (81) – Eglise Saint Barthélémy de Castelnau de Lévis (81) – Eglise Notre Dame de Dénat (81) – Eglise Saint Michel de Cordes (81).

En 2016, l’unité de temps n’est plus celui de la seconde, définie par rapport à l’année, mais celui des physiciens et des pulsions de l’atome césium 133. Les horloges atomiques sont devenues les gardiennes du temps et tendent à s’affranchir de plus en plus des mouvements de la mécanique céleste. Demain, l’heure sera entièrement artificielle, mais après demain ? ! Qui sait, peut-être ! Celle d’un cadran solaire !?

 

Carmaux, le 8 septembre 2016

Didier BENOIT