L’énigmatique cadran solaire de la cathédrale de Saint-Pons-de-Thomières et son canon de midi.
Cadran solaire situé à Saint-Pons-de-Thomières dans l’Hérault (34).
Etienne Sémat et Louis Molinié, deux jeunes Saint Ponais de génie à l’aube du XIX ème siècle.
L’énigmatique cadran solaire de la cathédrale de Saint Pons de Thomières dans l’Hérault et son canon de midi. L’unique méridienne acoustique de hauteur au monde.
Sur la photo, voici la cathédrale de Saint-Pons et son immense cadran solaire à méridienne acoustique.
Dimension 600 cm de haut x 400 cm de large hors table basse.
Méridienne et méridienne acoustique dit canon de midi ?
Les méridiennes sont des cadrans solaires particuliers qui ont pour fonction de marquer essentiellement avec précision l’heure de midi (d’où leur nom). Elles fonctionnent suivant le même principe que ces derniers avec un style fixé sur la table (1). Les méridiennes peuvent être construites horizontalement ou verticalement. Instrument astronomique de premier intérêt dès le XVII ème siècle, elles ont permis d’affiner le calendrier et la connaissance de l’obliquité de l’écliptique.
Une méridienne acoustique, dit aussi canon méridien ou canon de midi, brevetée par le français Victor Chevalier à la fin du XVIIIème siècle, est un type particulier de méridienne conçue pour que les rayons du soleil, passant à midi au travers d’une loupe, mettent le feu à la mèche d’un canon, qui signale ainsi le milieu de la journée de la manière la plus sonore qui soit.
Le canon méridien du jardin du palais royal à Paris, 1786.
Autrefois une cage de verre protégeait le petit canon des intempéries. Elle a été volé en 1981.
On ne peut plus voir ce petit canon si célèbre. Il a été volé en 1997.
Ces canons exigent que l’on réajuste tous les jours la position de la loupe pour prendre en compte la variation de la hauteur de culmination du soleil tout au long de l’année. Ce sont des réglages fins à faire en plus du nettoyage et réarmement journalier de l’appareil. Toutes les méridiennes acoustiques créées durant le XIX ème siècle (2) qui nous sont connues, inventoriées dans les archives des « Sociétés Astronomiques » des pays démocratiques du monde, ont toutes en commun d’avoir été conçues pour fonctionner en position horizontale et à hauteur d’homme. Seule, celle de Saint Pons de Thomières fait exception à la règle.
Le canon du jardin du Palais-Royal à Paris.
« En ce jardin, tout se rencontre
Hormis de l’ombrage et des fleurs.
Si l’on y dérègle ses moeurs
Au moins on y régle sa montre »
Abbé Delisle.
Ainsi, pour l’histoire, tout au long du XIX ème siècle, c’est au son du canon, que les Saint-Ponaises et Saint-Ponais réglaient montres et horloges sans sortir de chez eux.
A la découverte d’un cadran solaire bien énigmatique.
Situé à douze mètres de hauteur, sur un des contreforts sud de l’ancienne cathédrale de Saint Pons de Thomières, cet indicateur du temps aux dimensions grandioses est aujourd’hui à l’état de vestige. Les informations que nous possédons proviennent en partie des archives municipales et plus précisément de la séance du conseil municipal de Saint Pons de Thomières du 24 pluviôse, an XII (14 février 1804) dont voici la copie.
» Le maire a dit: Vous êtes mémoratifs (il vous souvient), que deux jeunes artistes de cette ville, Sémat et Molinié, se présentèrent, il y a quelque temps à une de vos séances pour obtenir la permission d’établir un cadran solaire à un des piliers extérieurs de la grande église. Vous n’avez rien statué à cette époque, cependant vous les avait engagés à exécuter leur projet. Vous avez été témoins des travaux de ces jeunes gens, vous avez apprécié l’exactitude et l’utilité de cet ouvrage et vous avez admiré avec quel art ils ont placé, au dessus du cadran, un verre mobile qui ramasse les rayons du soleil et les dirige jusqu’au foyer, où la chaleur de cet astre allume la mèche qui porte le feu au canon, dont l’explosion annonce à toute la ville l’heure de midi. C’est maintenant à vous de régler ce qu’il convient de donner à ces artistes, soit pour le remboursement de leurs avances, dont je vous présente le compte qui s’élève à 80 francs, soit à titre de récompense et d’encouragement ». »Sur ce, le conseil municipal délibère d’accorder à titre de récompense la somme de 150 francs au citoyens Sémat et Molinié ».
Toutes les recherches historiques entreprises, partiront de cette délibération et elles vont s’avérer riches en découvertes. Le cadran solaire de Saint Pons de Thomières est reconnu dans le monde de la gnomonique pour l’unicité de sa facture, celle qui a été mise en œuvre à plus de douze mètres de hauteur pour faire fonctionner un canon de midi et qui de nos jours encore garde ses secrets. Ce que l’on sait moins est l’histoire des deux hommes de génie qui vont réaliser cette oeuvre.
Le cadran solaire en haut du contrefort et La table enduite du bas font partis de cette composition gnomonique.
Natifs de Saint Pons de Thomières, Etienne Sémat (3) et Louis Molinié ont 16 ans lorsqu’ils s’attaquent à la réalisation de ce cadran solaire. A 17 ans, ils réaliseront un cadran solaire de grande facture pour le Préfet de l’Hérault, Nogaret, qui adressera la lettre de remerciement ci-dessus au sous préfet de Saint Pons :
« Montpellier le 26 germinal, an XII (16 avril 1804)- J’ai reçu, citoyen sous préfet, le cadran solaire que vous m’avez annoncé ; j’en admire la netteté et la précision de l’exécution. Les talents des citoyens Sémat et Molinié doivent donner les plus hautes espérances et je serai enchanté d’être à même d’en favoriser le développement.- Signé : Nogaret ».
Ces derniers mots seront certainement pris à la lettre, car quelques années plus tard, Louis Molinié et Etienne Sémat nous sont connus pour être les dépositaires indépendants de neuf brevets impériaux et royaux (4) et de brevets mentionnés au « Service des Archives de l’Académie des Sciences de l’Institut de France », mais hélas disparus de nos jours. Le docteur Barthés, écrivain local, et petit-fils de Sémat, cite dans son ouvrage les autres inventions attribuées à son grand père et qui ont disparu des archives.
Tout le sens de la phrase du maire prend ici sa vraie valeur « vous avez apprécié l’exactitude et l’utilité de cet ouvrage et vous avez admiré avec quel art…etc », force est de reconnaître la précocité des ces deux esprits. Molinier deviendra industriel filateur à Saint Pons et à Paris. Il perfectionnera tout au long de sa vie les machines outils de sa corporation et surtout les moteurs à vapeur. Ces nombreux travaux seront étudiés dans les grandes écoles de France et repris par les ingénieurs de la fin du XIXème siècle. Etienne Sémat aura un parcours plus chaotique mais marqué par une ébullition intellectuelle permanente.
Tout en haut du cadran solaire, la chambre du canon avec au dessus, la lumière faite dans la pierre de taille d’arase qui a entrainée la démolition du modillon.
J’ai mené durant les années passées des investigations bénévoles au droit de ce cadran solaire grâce notamment à Monsieur Josian Cabrol , fait des prélèvements de toutes sortes (pigment, enduit, poudre etc…), travaillé sur la facture de cet indicateur du temps, exécuté de nombreuses recherches (archives royales, impériales, INPI, école militaire de Sorèzes etc…), travaillé en concertation avec des professionnels de tout bord ( spécialiste en balistique et arme à feu, en pigmentations, en gnomonique, en canon acoustique etc…), fait une conférence, lancé des recherches par voie de presse et revue locale faisant appel à la mémoire des Saint Ponais avec la complicité de Micheline Haller, Claire Granier, Michel Corroir, Jean Claude Richard, participé à une émission sur FR3 durant laquelle j’ai évoqué le sujet, en un mot, récolté des informations qui me permettent de connaître une partie de l’histoire de ce chef d’oeuvre de la gnomonique. Mais le chemin qui reste à faire est encore long.
De nombreux vestiges de pigments prisonniers du glacis à la chaux, nous informent sur les couleurs mises en oeuvre sur la table.
Aujourd’hui, si je suis en mesure de pouvoir lancer la première phase de restauration de ce monument, bien des questions restent toujours en attente de réponses, même si pour la majorité d’entre elles je peux apporter des suggestions. Il nous faudra résoudre les plus techniques pour continuer la restitution totale de cette oeuvre.
Questions …
– D’ou vient le savoir gnomonique de ces deux jeunes gens (16 ans)?
– Comment ces jeunes gens ont pu financièrement faire face à la concrétisation de leur
projet ?
– Comment maîtriser l‘art de la maçonnerie, de la pose d’échafaudage, du dessin, de la taille
de pierre, de la forge, de l’armurerie etc… tous ces corps de métiers que l’on retrouve dans
cette facture ?
– Comment une ville qui n’a plus les moyens à cette époque de financer son hospice et le
laisse à l’abandon trouve-t-elle l’argent à mettre à cette méridienne ?
– Quelle est cette fameuse invention qui a permis pendant plusieurs décennies, jusqu’aux portes
du XXème siècle, de faire fonctionner ce canon ?
– D’où provient cette méridienne à canon, à l’époque où elles ne sont pas encore répandues ?
Et bien d’autres questions encore…….
Le cadran solaire
Dans la pure tradition gnomonique (5) de la région, ce cadran solaire est réalisé sur un corps d’enduit de chaux selon la technique ancestrale du travail de la fresque. Un premier enduit de chaux et de sable grossier à très forte épaisseur (au delà de 5 cm par endroit pour aligner les deux plans de murs séparés par le bandeau de pierres de taille) assure la forme et le dressage de la table sur laquelle le cadranier (6) a reporté son tracé mathématique par gravure avant durcissement de la matière appliquée. En terme technique on appelle cette forme « l’arricio ». Un deuxième enduit de chaux grasse et de sable très fin, voire de poudre de pierre, appliqué en film mince donne à la surface de la table un aspect lisse et fini. Par transparence les marques du tracé laissées dans « l’arricio » restent lisibles. Le cadranier les souligne, avant durcissement du liant, d’un trait de couleur. Il ne lui reste plus qu’à délimiter le dessin des liserés qui ne demande pas de précision et de réaliser ses décors à main levée.
Un géant de la gnomonique ancienne (dim 6m de haut x 4m de large) à l’état de vestige, dont la table recèle quantité d’informations.
Sur la table, la palette de couleur se limite à des vestiges de pigments prisonniers du glacis à la chaux. L’ocre jaune se trouve sur toute la surface de la table, un badigeon de cette couleur devait en assurer le fond. L’ocre rouge est présent en quantité en périphérie de la table, il devait en délimiter le pourtour sous forme de liseré. Des pigments vert-bleuté vif et rouge violacé occupent le haut du cadran et la surface des cercles à côté de la poutre en bois, certainement les restes de motifs décoratifs. De rares traces de pigment noir et ocre rouge se trouvent au niveau du tracé des lignes horaires. Le point d’implantation du style polaire nous donne les informations mathématiques nécessaires à la construction de ce cadran solaire, mais aussi celles relatives aux connaissances gnomoniques de ses concepteurs.
Un peu plus du tiers de la surface de la table de ce cadran était occupé par le tracé purement mathématique. Les deux autres tiers devaient au vu des différents pigments trouvés être occupés par des décorations, signes ou autre devise. Seules, aujourd’hui, des archives peuvent nous informer de la chose, et en cas d’absence de ces dernières, force sera de s’appuyer sur l’art de la facture des cadrans solaires de la fin du XVIIIème siècle.
Dessin imaginé à partir des restes de pigments trouvés et la connaissance du tracé mathématique. Présentation à partir d’un tracé typique du début du XIXè siècle (le décor s’inspire du blason de la ville).
La table rectangulaire, située en partie basse sur le jambage du contrefort, date très probablement de l’époque du cadran solaire. Les trois lignes écrites, très perceptibles à l’œil nu n’ont pas encore dévoilé leur contenus, malgré les investigations et recherches menées. Une prochaine intervention avec un appareil UR-UV (infra rouge, ultra violet) est prévue. Ce type de technique permet de déceler les pigments résiduels contenus dans un corps d’enduit et par delà de définir le dessin qu’ils constituent.
Bien que très visible, les trois lignes écrites sur cette table gardent leurs secrets.
Essais de lecture.
Le coup de canon de midi.
Notes
(1) Table : Surface sur laquelle le cadranier réalise son cadran solaire (bois, pierre, fer, enduit etc…).
(2) Le XIX e siècle qui suivra, sera le grand siècle des méridiennes acoustiques.
(3) Sémat est connu localement grâce à un ouvrage écrit par son petit-fils le docteur Barthés.
(4) J’ai offert les copies de ces brevets à la ville de Saint Pons.
(5) Gnomonique science des cadrans solaires.
(6) Cadranier, personne qui réalise des cadrans solaires.
Didier Benoit.