Restauration du cadran solaire de Salle sur Cérou datant de 1763.
Cadran solaire situé à Salle sur Cérou dans le Tarn (81).
Le grand cadran solaire au tracé méridional, à l’entrée du village de Salles sur Cérou (Tarn).
Le cadran solaire des berges du Cérou, gardien du temps et de la porte de Salles depuis 1763.
Dimensions 230 cm x 182 cm
Historique
Le cadran solaire est situé sur la façade orientée sud-ouest d’une vieille maison se trouvant à l’entrée du village de Salles, face au pont qui enjambe la rivière « Cérou » et permet d’accéder à ce petit bourg. Cette demeure très ancienne date du début du XVIIIème siècle. Elle est connue comme relais auberge sur la route qui relie les villes de Saint Antonin – Cordes à l’ouest à celles de Monestiés – Carmaux à l’est. A cette époque, la route passait à un niveau légèrement plus bas, et, le pont en forme de dos d’âne était fait de quatre voûtes en ogive (seules deux sont conservées aujourd’hui, les deux autres ont été remplacées au siècle dernier par un tablier en acier). Le cadran solaire se trouvait à plus de trois mètres du sol et surplombait la cour de la demeure en partie comblée aujourd’hui. Durant près d’un siècle et demi, ce magnifique indicateur du temps, instrument de prestige et d’orgueil de son propriétaire, a rythmé la vie journalière des Salloises et des Sallois, à une époque où sa science était indispensable pour régler montres et horloges. De même, de nombreux voyageurs et commerçants en tout genre ont rattrapé, auprès de ce fidèle greffier solaire, la fuite du temps que leur précieuse mécanique ne savait encore contenir.
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Un cadran solaire complet, aux grandes dimensions. Le cadran solaire de Salles sur Cérou avant et après restauration (mai 2013).
Facture
Dans la pure tradition gnomonique(1) de notre région, ce cadran solaire est réalisé sur un corps d’enduit de chaux selon la technique ancestrale du travail de la fresque. Un premier enduit de chaux et de sable grossier assure la forme et le dressage de la table(2) sur laquelle le cadranier(3) a reporté son tracé mathématique par gravure avant durcissement de la matière appliquée. En terme technique, on appelle cette forme « l’arricio ». A Salles, le cadranier a pris soin de graver les chiffres romains et de délimiter l’emplacement du millésime. Un deuxième enduit de chaux grasse et de sable très fin, voire de poudre de pierre, appliqué en film mince, donne à la surface de la table un aspect lisse et fini. Par transparence, les marques du tracé laissées dans « l’arricio » restent lisibles. Le cadranier les souligne, avant durcissement du liant, d’un trait de couleur. Il ne lui reste plus qu’a délimiter à la règle le dessin des liserés qui ne demande pas de précision.
Sur la table, la palette des couleurs est restreinte. Ici, le noir de fumée domine. Il recouvre les lignes horaires, la devise, le millésime et les liserés. L’ocre rouge détache symboliquement les lignes perlées des demi-heures et le blanc de saint-Jean sert de couche de fond à l’ensemble. A ce jour, il ne se trouve sur la table aucune marque de calcul mise en œuvre par le cadranier pour la réalisation du tracé mathématique de ce cadran solaire. Mais bien des choses sont encore à découvrir sur l’art de cette facture. Plusieurs restaurations successives recouvrent de peinture les marques originelles. Des recherches à venir devront essayer de se rapprocher au plus près de l’histoire de la création de ce cadran solaire. L’intervention rapide que j’ai faite dernièrement a permis de mettre à jour le millésime 1763, inconnu jusqu’alors (4).
Un cadran solaire loin d’être ordinaire
Il est évident que le client du cadranier, souhaitait une réalisation sortant de l’ordinaire. La propriété n’ayant pas de recul face au cadran, il n’était pas nécessaire de lui donner de grandes dimensions. Avec ses 2.30 mètres de large pour une hauteur de 1.82 mètre, il fait partie des plus grands cadrans solaires de notre département. La lecture des heures s’offre ainsi aux habitants depuis la place du village. Cette surface très voyante qui se démarque de la façade de la bâtisse, étale la réussite sociale mais aussi intellectuelle de son propriétaire et sa main mise sur la gestion du temps dont profite la population les jours ensoleillés.
Dessin à l’échelle du cadran solaire de Salles sur Cérou tel qu’il devait être lors de sa dernière restauration(5). Ici le style n’est pas représenté(6).
Devise
La devise qui coiffe le haut du cadran solaire participe aussi à l’élan d’importance à donner à son propriétaire. Traditionnellement les devises horaires sont rares en milieu rural sur les cadrans solaires; il s’en trouve cependant sur les indicateurs de temps des édifices religieux, et sur certaines riches demeures (maison de maître, moulin voir auberge comme dans ce cas là). Avant la Révolution Française, c’est la langue de l’église qui prime sur les enfants de Phébus.
Dies nostri sicut umbra
Equivalence française : Nos jours passent comme l’ombre.
Origine : Livre de Job, VIII, 9 :« Hesterni quippe sumus, et ignoramus,Quoniam sicut umbra dies nostri super terram »(Car nous sommes d’hier, et nous ignorons combien nos jours sur terre sont comme l’ombre.
Les cadraniers qui parcouraient les régions possédaient dans leurs bagages quelques exemples de devises(5), dessins (pomme de pin, oiseaux, etc ) qu’ils vendaient avec le reste de leurs prestations.
Les lignes des demi-heures dessinées sur ce cadran solaire sont, pour le cas, originales. Elles sont faites d’une succession de perles de 10 millimètres de diamètre et faisant toutes 55 centimètres de long. Je connais un seul autre exemple de lignes perlées dans le Tarn, c’est celui des hyperboles et des droites équinoxiales des cadrans solaires jumeaux, Castor et Pollux, de la Cathédrale Sainte Cécile d’Albi. A Salles, ces droites perlées partent chacune d’un empennage de flèches collé contre le liseré intérieur qui délimite le tracé des lignes horaires. Nous avons donc à faire à des lignes de demi-heures fléchées. Il manque seulement l’enferron à chacune (représenté en vert sur le dessin). Je n’ai pas mené de recherche sur leur présence. Toutefois, je n’ai aucun doute sur leurs existences. En gnomonique populaire, les lignes des heures marquent le mouvement en avant, l’avance inexorable du temps. Il se trouve une quantité importante de styles et de lignes horaires fléchés sur nos cadrans solaires français. En opposition, les demi-heures fléchées sont toujours en contre sens, c’est-à-dire dirigées vers le centre du cadran solaire. Elles symbolisent, le mouvement en arrière, l’arrêt du temps, l’action vaine que mène l’Homme pour le ralentir et en devenir maître. Ce n’est que superstition et bien des cadrans solaires de nos jours possèdent des lignes des demi-heures fléchées qui ne tiennent aucun compte de ses croyances anciennes.
La restauration
Préparation du chantier et relevé sur plan.
Inspection et investigation
Le corps d’enduit de la table du cadran solaire bien que cohérent a perdu beaucoup de sa résistance mécanique ; quelques petites zones sonnent creux. La face extérieure de la maçonnerie présente de nombreux impacts dus à des chocs mais aussi à des petits plombs de chasse. Le dessin du cadran est très effacé mais encore bien visible grâce, en partie, au fait que le cadranier l’ai gravé dans l’enduit à la chaux avant séchage. Les peintures sont très effacées. La couche de fond à la chaux et sable fin est très dégradée, voire absente par endroit. Un micro faïençage s’étale sur toute la surface de la table. Aucune présence de fissure importante. Une enseigne commerciale en métal a laissé de profondes marques cuivreuses à l’emplacement qu’elle occupait. Le style en fer forgé est tordu et plié. Un manque de matière important dû à la corrosion est visible au niveau de sa pâte de scellement. Des micro-organismes (bactéries, algues, lichens) en très faible quantité se trouvent sur la table du cadran solaire.
Mesures de conservations
Dans un premier temps, un agent « biocide » a été appliqué à l’échelle. Un échafaudage a été positionné par la suite au droit du cadran solaire. Un plan à l’échelle 1 a été relevé sur papier cristal. La table du cadran a été nettoyée à l’eau déminéralisée. Les marques gravées dans le corps d’enduit ont été mises en évidence à la mine de crayon à papier. Les impacts ont été bouchés et ragréés avec un liant de chaux et de résine acrylique. Après séchage.
Sur lignage à la mine de crayon à papier.
La table a été consolidée superficiellement avec une solution silicatée-micro fibré et une patine de fond a été appliquée. Des pigments portés dans un liant minéral silicaté ont été posés au pinceau et par pochoir sur le dessin en respectant leur couleur d’origine. Le style a été déposé, reformé à la forge et sa pâte de scellement consolidée ; sa pose sur le cadran s’est faite avec un scellement à la chaux et sable.
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Notes
(1) Gnomonique : Art de concevoir, dessiner ou calculer et construire des cadrans solaires.
(2) Cadranier (ou gnomoniste) : Personne qui réalise des cadrans solaires, les installe ou les restaure.
(3) Table : Surface sur laquelle le cadranier réalise son cadran solaire (bois, pierre, fer, enduit etc…).
(4) Samedi 19 11 2011, j’ai appliqué une solution d’alcool absolu au droit de l’emplacement supposé de la date de création de ce cadran solaire. Le liquide retenu par les pigments présents non visible à l’œil a laissé paraître par le jeu de l’évaporation, le dessin des chiffres. Un nettoyage dans les règles de l’art de la restauration peut être porteur de nouvelles surprises. Les trois premiers chiffres arabes de l’épigraphe sont relativement dans l’esprit d’une écriture du XVIIIème siècle, il en est autrement du dernier.
(5) Le cadran solaire qui s’offre à notre vue est celui voulu lors de la dernière restauration faite dans la deuxième moitié du XIXème siècle. Le cadran solaire d’origine de 1763 est recouvert d’une, voir de plusieurs couches picturales mises en œuvre pour le maintenir en état face aux dégradations liées à l’usure du temps. Chaque restauration amène quelques modifications représentatives du moment et souvent des erreurs dues à l’effacement total de certaines marques.
(6) Style : tige en fer la plupart des cas qui porte sur la table du cadran solaire l’ombre nécessaire à la lecture des angles horaires. L’équivalent des aiguilles de nos montres.
(7) Les ecclésiastiques, dont les curés des villages sont à l’origine de très nombreuses devises.
Didier Benoit.