Cadran solaire du Tarn : Le Garric – Cadran canonial Pouzounac

Le Garric église de PouzounacCadran canonial de l’église de Pouzounac.

Cadran solaire situé à Pouzounac, commune du Garric, dans le Tarn (81).

 

 

Cadran solaire Benoit Le Garric Tarn.Cadran canonial à quinze secteurs de l’église Saint-Martial de Pouzounac commune du Garric.

Histoire

Avec le Moyen-âge, l’heure antique à durée variable comprise entre le lever et le coucher du soleil, disparaît au profit d’un tout nouveau genre de cadran solaire: les cadrans canoniaux, ou cadrans de prières. Contrairement à ses prédécesseurs, ils ne donnaient pas d’heure au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Ils ne comportaient aucune indication chiffrée. Ils donnaient des heures inégales au cours d’une même journée et variables selon la saison. Par convention, lorsque l’ombre du style tombait sur un segment de droite, telle prière devait être faite ou tel office célébré.

L’origine de l’église chrétienne de Pouzounac remonte au-delà de l’an 900. Nous trouvons pour la première fois ce nom de lieu écrit en 964, « Padalnag » dans « l’Histoire Générale du Languedoc » (1). Dès la plus haute antiquité, le site a été occupé par l’homme. Un temple païen (fanum) dédié à la déesse des moissons « Sibille » y fut élevé. Le nom de Pouzounac est formé à partir de patellanus nom de personne tiré de patellana « déesse de l’éclosion du blé » ou plus familièrement déesse des moissons. Mais aussi endroit, lieu servant au sacrifice païen. Tout au long des siècles à venir, le nom de cette paroisse évoluera. Au début du XIIe siècle, dans la charte du Ségur, on cite ce lieu, « Peuznac ». En 1219, « Pasaunaco », cité par De Lacger dans, Histoire de l’abbaye de Saint-Salvy d’Albi. En 1381, « Pausonac », cité par Vidal, dans Douze comptes consulaires. En 1595, « Pazonac », cité à nouveau par Vidal dans, Ancien diocèse d’Albi d’après les registres de notaires. Fin du XVIe siècle, « Pousounac, cité par De lacger dans, Etats administratifs des anciens diocèses d’Albi, Castres et Lavaur.

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Cadran solaire Benoit Le Garric Tarn.Le cadran est situé au niveau de la septième rangée de pierres, à droite du parafoudre.

L’origine chrétienne du site remonte probablement à la fin du IVe siècle lorsque le christianisme devient la religion de l’empire romain. Les nombreux restes de « tégulaés » trouvés sur site témoignent de la présence de bâtiments de cette époque sur ce lieu élevé. L’histoire religieuse de la chrétienté en terre Albigeoise en ce début de premier millénaire reste vague. Les documents écrits manquent. Des premiers évêques, nous possédons peu d’informations. Au Ve siècle Albi devient le siège d’un évêché dont Grégoire de Tour nous donne le nom du premier titulaire « Diogénien ». Auparavant, l’invasion des terres Albigeoise par les Wisigoths et son roi Alaric imposera l’arianisme comme religion d’Etat. Il est difficile de situer notre église de Pouzounac dans ces tourments. Le lieu était-il réellement chrétien ? En marge de la cité Albigeoise, en milieu campagnard isolé sur son mamelon, n’est-il pas resté fidèle au polythéisme ? Il reste plus prudent de donner comme premier jalon, le début de l’époque carolingienne pour situer l’implantation chrétienne du lieu. Ce type d’édifice isolé est caractéristique de la formation des premières paroisses rurales. Un territoire comprenant plusieurs feux avec l’église seule placée au centre. Des vestiges lapidaires d’art roman de la période de notre horloge médiévale sont conservés dans l’appareillage des pierres du bâtiment. À voir, à l’intérieur du porche, une superbe sculpture en partie cachée par la nouvelle maçonnerie. Elle représente un buste de bête démoniaque engoulant une tête humaine. Opposition entre le bien et le mal. Cette mise en scène dans l’imagerie médiévale, bien que connue reste rare lorsqu’elle met en œuvre une sculpture seule. Dans cette tête humaine, il faut y voir la représentation de l’hérétique. Cette pierre exceptionnelle date du Xe ; XIe siècle (2). À remarquer aussi sur le mur donnant sur le cimetière une superbe tête de christ perdu au milieu de la maçonnerie.

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Bête démoniaque tenant dans sa gueule la tête d’un hérétique. Tête de Christ.

Cadran solaire Benoit Le Garric Tarn.

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La répartition des heures canoniales du cadran de Saint-Martial

Cadran solaire Benoit Le Garric Tarn.Les planches qui suivent permettent de mieux situer la répartition des offices journaliers sur le tracé du cadran canonial de Saint-Martial et de le comparer à des tracés mathématiques laissés aux érudits médiévaux, du moins en ce qui concerne la dernière figure. J’ai réalisé ces calculs en considérant une déclinaison nulle pour le mur qui porte le cadran. En réalité, l’église Saint-Martial a sa façade méridionale légèrement déclinante vers l’ouest d’une dizaine de degrés. La différence étant minime, je me suis épargné des opérations fastidieuses pour quelques petits degrés. Saint Hildevert me le pardonnera.

Le dessin ci-dessous montre les possibilités de lecture des différents offices que les hommes de Dieu ont peut-être voulus pour le cadran de Saint-Martial. Les parties tracées en traits non continus restent du domaine de la supposition. L’interprétation de l’office divin ci-dessous vient de la règle de Saint Benoit.

Essai d’interprétation du tracé du cadran canonial de Pouzounac :

Les cinq moments de prière que sont P(rime), T(ierce), S(exte), N(one), V(êpres) sont démarquées par des repères en forme de flèche. Cela permet d’un simple regard de les situer sur le cadran et de faciliter la lecture des heures. La ligne P V marque la ligne d’horizon du lieu et les limites de fonctionnement du cadran. La verticale S, situe la culmination de midi, soit le milieu de la journée de lumière. T et N sont les marques médiantes et situent, une le milieu de la matinée et l’autre le milieu de l’après midi. La division duodécimale du demi-cercle se veut à l’image des heures antiques et proche de la réalité biblique. Le levé du soleil donne le départ de la première heure, sont coucher clos la dernière. La lecture de ces seuls repères suffit grandement pour justifier le fonctionnement de cette horloge primitive.
L’organisation monacale à ses début est tributaire des fruits de la terre. Le moine doit subvenir à ses propres besoins et si possible pour atteindre le bonheur extrême partager avec les nécessiteux. Pour cela saint Benoit démarque pour l’année trois périodes liées aux saisons avec des horaires bien distincts. Cela contribue aussi à couper la monotonie dans la communauté. Ces périodes sont : l’horaire d’hiver, l’horaire d’été et l’horaire de carême. En s’appuyant sur le chapitre 48 de la règle de Saint Benoit, la disposition horaire ci-dessus tient compte de la place que pourrait prendre chaque office au moment de chacune de ces périodes. TOC (tierce du premier octobre au début du carême) – TC (tierce au moment du carême) – TPO (tierce de Pâques au premier octobre) – SPO (sexte de Pâques au premier octobre) – NPO (none de Pâques au premier octobre) – NOC (none du premier octobre à carême) – NC (none pendant le carême).

Cadran solaire Benoit Le Garric Tarn.

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A gauche, tracé pour un cadran solaire d’angle horaire, de type méridional pour le lieu-dit Pouzounac. Le tracé est différent de celui en place à l’église Saint-Martial.

A droite, tracé pour un cadran d’heures antiques vertical plan, calculé pour le lieu-dit Pouzounac. Ici aussi le tracé n’est pas celui en place à Saint-Martial.

Pour conclure

Le « Sacrifice de Louange, l’office divin, la liturgie des heures » afin de christianiser le temps, non celui de l’histoire, mais celui du salut des hommes. Voilà la mission de ce bien modeste cadran solaire. Son installation sur le mur de cette petite église de campagne perdu en terre albigeoise, au milieu des tourments de la fin du premier millénaire, pour célébrer l' »Opus Dei », avec la complicité de ses moines réguliers semble bien être sa seule fonction. L’union de ses heures canoniales à ses heures temporelles intermédiaires, n’a certainement jamais été mise en place pour les habitants de la campagne environnante. Priez et travailler, comme le préconise Saint Benoit «orare et laborare», sans jamais s’écarter de la Règle, voilà le temps qu’a marqué ce cadran et qu’ont célébré durant des décennies les moines réguliers et peut être le clergé séculiers attachés à Saint-Martial de Pouzounac.

En 2009, la décision sera prise de restaurer ce cadran solaire canonial.

Voir la fiche de la restauration de ce cadran solaire

Notes

(1) Ernest Nègre, les noms de lieux du Tarn.
(1) L’abbé Puel, curé de Saint-Martial, avait connaissance de ce passage daté de l’époque carolingienne. Il nous a transmis oralement cet écrit : il y est question du don d’un ornement d’église fait par la paroisse de « Padalnag à la collégiale Saint-Salvy d’Albi.
(2) Datations personnelles, confortées avec l’appréciation de Jean-Louis Biget, médiéviste de renom. Il est difficile quand il n’y a pas de re coupage archéologique d’être précis en datation. L’église Saint-Martial étant très ancienne, ces sculptures ont pu voir le jour au tout début de la période romane. En retenant le XIe siècle, nous sommes proches de la réalité. Toutefois, la facture de la première de nos deux sculptures semble plus ancienne.
(3) Gaspard de Soif, nous confirme l’existence de cadrans canoniaux réalisés sur bois. Aucun exemplaire ne nous est parvenu.
(4) Actuel psaume 118
(5) Au-delà de sa grande influence religieuse, la règle de saint Benoit est un des plus importants travaux écrits durant la formation de la société médiévale, incarnant en tant que telle l’idée d’une constitution écrite, et d’une autorité limitée par la loi.

Bibliographies

Bernard Arquier : traces d’horloges solaires primitives sur les édifices religieux médiévaux
de l’Aude, de l’Hérault et des Pyrénées-Orientales.
Denis Schneider : les cadrans canoniaux. Société Astronomique de France

Les vestiges du cadran de Saint Martial ne répond pas entièrement aujourd’hui aux marques de décalage des heures liturgiques dues à la variation saisonnière des instants de prières, comme on peut le voir sur celui de Sainte Cécile du Cayrou dans la Tarn ou bien celui remarquable de la cathédrale de Saint Pons de Thomières. Mais force est de reconnaitre que le gommage du temps sur la pierre qui le porte ne laisse voir que les parties sculptées les plus profondes. Le repère bien visible dans le prolongement de sexte en forme de pointe de flèche, laisse pourtant supposer leurs utilisations. Ses lignes horaires se plient sagement sans les malmener au réseau adapté des heures temporelles presque régulièrement espacées de 15°.  Nous avons bien à faire ici à un tracé non mathématique d’heures antiques chères à l’église du temps, celui qui a vue la mort du Christ. La lecture de l’heure sur un tel cadran ne nécessite pas de se livrer à des calculs complexes. L’intérêt de diviser en 12 intervalles de temps entre lever et coucher du soleil permet de connaître par un simple calcul mental combien de temps il reste avant que le soleil se couche ou depuis combien de temps il est levé. Il y a un paramètre aussi qu’il faut prendre en compte, même si nous en avons aucune preuve historique à ce jour, c’est celui de l’accompagnement de nos horloges primitives par des signes peints. Proche de Saint Martial, à l’église romane Saint Michel de Lescure du XIe siècle, se trouve trois cadrans canoniaux ayant des restes de polychromie fort anciens dont la pigmentation mériterait une recherche en laboratoire. Peut être là se trouve une des clés mystérieuses pour pénétrer l’intimité de nos horloges primitives.

Les chanoines réguliers qui avaient charge d’âmes et assuraient la « cura animarum » pour le petit peuple qui gravitait autour de Saint Martial étaient disposés à cette organisation journalière, mais il reste difficile de dire à quel point cette organisation religieuse du temps hors de la vie de l’église a exercé une influence sur les gens du siècle.

Didier Benoit.